Suppression de l’ISF, aides massives aux entreprises, explosion du recours aux cabinets privés : où est passé l’argent public depuis 2017 ?
Une fiscalité sabordée : les recettes sacrifiées sans contrepartie
Dès son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron a entrepris une série de réformes fiscales qui ont considérablement allégé la pression sur les ménages les plus fortunés. La suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), remplacé par un impôt limité à l’immobilier (IFI), a fait perdre environ 4 milliards d’euros par an à l’État. S’y est ajoutée la « flat tax » à 30 %, un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital. Résultat : selon Bercy, les cent foyers les plus riches ont empoché 1,5 million d’euros de gains annuels chacun. France Stratégie, organisme gouvernemental, conclut que l’effet économique de ces mesures est nul : ni croissance, ni investissement, ni emploi supplémentaire. Il ne s’agissait donc pas de réorienter l’épargne, mais bien d’alléger l’impôt des plus fortunés.
Ces mesures, censées encourager les investissements productifs, n’ont généré aucun effet macroéconomique notable. Ni les flux d’investissement, ni la croissance, ni l’emploi ne se sont redressés. Pire : elles ont entériné une logique de transfert de richesse vers les possédants. Le discours gouvernemental vantant le « ruissellement » s’est effondré devant les rapports de France Stratégie ou de l’IPP, qui attestent de l’inefficacité patente de ces baisses d’impôts.
Le plus grave n’est pas tant le creusement de la dette publique – qui peut être conjoncturellement justifié – mais l’usage qui en a été fait. Car les 40 à 50 milliards d’euros à trouver en urgence aujourd’hui, selon le ministre de l’Économie Eric Lombard, ne correspondent pas à des investissements dans les infrastructures, la santé ou l’école. Ils financent, en réalité, une accumulation de mesures inefficaces, voire régressives, qui ont massivement profité aux ménages les plus aisés.
Les aides aux entreprises : 200 milliards dilapidés sans effet
Macron n’a pas inventé l’allègement des charges : il a simplement porté à son comble le processus initié par François Hollande avec le Pacte de responsabilité. La suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la transformation du CICE en exonérations pérennes de cotisations patronales, ou encore les multiples crédits d’impôt comme le CIR ont constitué un transfert massif de ressources publiques. Chaque année, ce sont plus de 200 milliards d’euros d’aides qui sont versés aux entreprises – soit plus que le budget de l’Éducation nationale.
Les études successives de l’Institut des politiques publiques (IPP) et de l’IRES l’affirment : ces aides n’ont eu aucun impact mesurable sur l’emploi, l’investissement ou la valeur ajoutée. Le CICE, en particulier, n’a pas incité les entreprises bénéficiaires à embaucher davantage. En réalité, les marges reconstituées ont essentiellement été redistribuées sous forme de dividendes – au profit quasi exclusif des 1 % de foyers fiscaux les plus riches.
Derrière l’explosion du nombre d’apprentis – passé d’environ 300 000 à plus d’un million en six ans – se cache une logique d’aubaine. Chaque contrat donne lieu à une aide publique de 6 000 euros. Pour les entreprises, embaucher un apprenti mineur ne coûte rien la première année. Les abus sont nombreux : absence de tuteurs, formations défaillantes, faible encadrement. L’OFCE parle aujourd’hui d’une « bulle de l’apprentissage » : 200 000 à 250 000 emplois artificiels auraient été créés à la place de CDD ou CDI traditionnels. Coût de la manœuvre en 2024 ? Environ 25 milliards d’euros.
Cabinets privés, privilèges fiscaux et insubordination oligarchique
En 2022, une commission d’enquête du Sénat révèle que l’État a dépensé plus d’un milliard d’euros en prestations de cabinets de conseil privés. McKinsey, Boston Consulting Group, et d’autres ont été chargés de rédiger des rapports sans valeur ajoutée, voire inutilisés. Une étude sur le métier d’enseignant facturée 496 800 €, une convention de managers annulée mais facturée 558 900 € : les exemples foisonnent. Ce recours massif à des consultants externes, souvent en doublon de compétences existantes dans l’administration, illustre un État qui se vide de ses fonctions tout en enrichissant ses partenaires privés.
En réponse aux Gilets jaunes, Emmanuel Macron a préféré augmenter la prime d’activité plutôt que le SMIC. Résultat : 10 milliards d’euros de dépenses publiques annuelles pour suppléer l’insuffisance salariale des entreprises. Une fois de plus, c’est le contribuable qui paie à la place des employeurs, sans exigence de revalorisation salariale ou de contribution plus équitable du capital.
En 2025, une timide tentative de surtaxer les bénéfices des grandes entreprises pour deux ans – dans un budget porté par Michel Barnier – est écourtée à une seule année, après une intervention directe de Bernard Arnault. Montant « épargné » : 4 milliards d’euros. Dans le même temps, l’État affirme avoir besoin de 40 milliards de coupes budgétaires. Le message est clair : il est interdit de toucher aux profits des puissants. Et pourtant, la dette publique est brandie comme un fardeau collectif, alors même que son origine est claire : une politique fiscale et budgétaire exclusivement orientée vers la rente.